Les enchytréides, mais qu’est-ce que c’est ? Sont-ils vraiment importants pour le sol si on n’en a jamais entendu parler ? Micro & Macro font le point !
1 – Micro-bio : Qui sont les enchytréides ?
2 – Au Microscope : Morphologie et cycle de vie des enchytréides
3 – Biocénose : Place des enchytréides dans le réseau trophique du sol
4 – Macrorama : Fonctions écologiques des enchytréides
5 – Envie d’agir ? Favoriser la présence des enchytréides
Qui sont les enchytréides ?
Tout comme leurs cousins les vers de terre, les enchytréides font partie de l’embranchement des annélides (vers au corps segmenté) et de la sous classe des oligochètes (du grec oligos, “peu” et chète, “poil”) car par rapport aux espèces aquatiques d’annélides, ils possèdent peu de soies locomotrices (4 paires sur chaque segment).
Ils constituent une famille de plus de 700 espèces dont au moins 200 ont été décrites en Europe. Visuellement, ils ressemblent à de petits vers de terre blanchâtres dont le diamètre est inférieur à 2 mm et la longueur comprise entre 1 et 5 cm. Ils sont assez abondants dans toutes les régions tempérées du globe, particulièrement dans les 5 à 10 premiers centimètres des sols humides (litières forestières, tourbières, sables du littoral).
Histoire des enchytréides
On pense que les premiers annélides terrestres sont probablement apparus dès la fin de l’Ordovicien (il y a environ 440 millions d’années) en raison de la présence de terriers caractéristiques dans les sols de cette époque.
Morphologie des enchytréides
Les enchytréides possèdent une morphologie très proche de celle des vers de terre : comme leurs cousins, ils ne possèdent ni antennes, ni orifices respiratoires, ni yeux et leur bouche est dépourvue de pièces buccales. La respiration s’effectue à travers leur peau qui est couverte de récepteurs chimiques et tactiles. Ces derniers permettent notamment la recherche de nourriture et de partenaires sexuels mais aussi d’éviter les substances chimiques nocives.
Bien qu’ils ne possèdent pas d’yeux, les enchytréides sont sensibles à la lumière qu’ils ont tendance à fuir. Enfin, on constate le long du corps, la présence d’un clitellum qui est une structure glandulaire particulièrement visible en période d’activité sexuelle.
Pour différencier un ver de terre d’un enchytréide à l’œil nu, il faut observer sa taille, son diamètre, le nombre de ses segments et sa couleur. Les enchytréides ont un diamètre inférieur à 2 mm, une longueur comprise entre 1 et 5 cm. Ils possèdent entre 15 et 70 segments d’une couleur souvent blanchâtre. Notons également qu’on distingue peu les anneaux situés au milieu du corps : un regard non-averti pourrait confondre les plus petits spécimens avec les nématodes, d’autres vers blancs mais non-annelés.
Cycle de vie des enchytréides : la nutrition
L’alimentation de la majeure partie des enchytréides est assez uniforme : présents dans la litière et dans l’humus, ils consomment principalement des matières végétales plus ou moins dégradées, des micro-organismes (bactéries et champignons) et des excréments de micro-animaux. Possédant une faible efficacité d’assimilation, ils doivent ingérer de grandes quantités de matière organique (plus de 2 kg de sol minéral par mètre carré et par an dans les parcelles agricoles).
Certaines espèces sont prédatrices, notamment de nématodes parasites de plantes.
Enfin, on a signalé dans certaines circonstances des ravages de cultures causés par des enchytréides phytophages (Fridericia galba).
Cycle de vie des enchytréides : la reproduction
Comme les vers de terre, les enchytréides sont hermaphrodites, c’est-à-dire qu’ils possèdent à la fois des organes sexuels mâles et femelles. Pour la majeure partie des espèces, la reproduction sexuée est la règle (nécessite d’un accouplement entre un individu mâle et un individu femelle).
Cependant certaines espèces peuvent aussi se reproduire de façon asexuée :
- par autofécondation (un seul individu féconde son organe femelle avec son organe mâle)
- par parthénogenèse (division à partir d’un oeuf non fécondé)
- par fragmentation (un morceau du corps se détache pour générer un clone)
Les enchytréides ont un cycle de vie relativement court (de 30 à 50 jours), ils ont donc une vitesse de reproduction et de colonisation des sols beaucoup plus élevée que celle des vers de terre.
Place des enchytréides dans le réseau trophique du sol
Fonctions écologiques des enchytréides
Bio indicateurs de la santé des sols
Les enchytréides ne se développent pas bien dans un sol trop riche en gravier ou en sable (trop drainant) ou, au contraire, dans un sol trop tassé et manquant d’aération. Leur optimum de développement est en milieu humide, aéré et riche en matériaux organiques bien dégradés. Leur présence est donc souvent synonyme d’un sol fonctionnant “correctement”.
Sensibles aux changements, ils peuvent aussi être considérés comme des indicateurs de pratiques agricoles. Le travail du sol sans retournement (pseudo-labour, sous-solage) semble par exemple leur être favorable : il permet en effet l’incorporation des résidus végétaux et la diminution des populations de vers de terre, tout en n’exposant pas les enchytréides aux conditions climatiques (notamment la lumière directe) et aux prédateurs.
Les espèces du genre Enchytraeus sont en outre utilisées dans des tests écotoxicologiques standardisés en laboratoire. Ils permettent de mesurer les effets aigus, les effets chroniques ainsi que la bioaccumulation de divers toxiques.
Un complément ou un substitut au travail des vers de terre
Les enchytréides effectuent le même travail de bioturbation que les vers de terre mais à plus petite échelle. Il permettent aussi de fractionner les excréments de plus gros vers en minuscules particules. Dans les sols compacts, ils déposent leur déjections (turricules) à la surface, mais dans les sols aérés, ces dernières restent enfouies et peuvent constituer une grande proportion de l’humus.
En raison de la rapidité de leur cycle de vie (et donc de leur rapidité de colonisation des sols) et de leur résistance aux contraintes climatiques et anthropiques (dues à l’être humain), les enchytréides constituent un véritable “relais fonctionnel” dans les systèmes appauvris en vers de terre.
Rôle dans le recyclage de la biomasse
À la fois consommateurs de matière végétale en décomposition et de micro-organismes, les enchytréides sont considérés comme des décomposeurs primaires et secondaires. Ainsi, dans les sols de forêts acides, ou les vers de terre sont absents, les enchytréides jouent un rôle majeur dans la dégradation de la litière.
Un facteur de résilience face au changement climatique
Des études à la Aarhus University ont démontré que les enchytréides, dont le cycle de reproduction est court, sont capables d’évoluer rapidement pour s’adapter aux changements environnementaux : l’expérience a ainsi montré qu’il n’a fallu que 7 ans et 15 à 30 générations pour que les enchytréides s’adaptent à une augmentation de 0,5°C de la température (et donc à un environnement plus chaud et plus sec). Cette capacité leur permettrait ainsi d’assurer leur présence (et celle de leurs services écologiques) dans les agroécosystèmes soumis à l’évolution du climat.
Favoriser la présence des enchytréides
Les enchytréides ont besoin d’un minimum d’humidité et quelques semaines de sécheresse peuvent leur être fatales. Couvrir son sol avec du mulch pour le protéger des rayons solaires et préserver l’eau qui y est stockée leur sera très favorable.
Les couverts vivants peuvent également être une solution, les enchytréides appréciant particulièrement la végétation herbacée.
Enfin, de nombreuses espèces sont sensibles à la modification des horizons du sol, on optera pour un travail du sol doux (ou pas de travail du sol quand c’est possible) sans labour, si l’on veut leur offrir un habitat stable et bénéficier de leurs services écologiques.
- BENCHIR A., Faune du sol [en ligne], ISSUU, 20/06/2013, [consulté le 24/05/2018], disponible sur : https://issuu.com/hmadanamar/docs/faune_du_sol/176
- DUBUISSON J.Y., RACHEBOEUF P., JANVIER P., Du Silurien au Dévonien : les sorties des eaux [en ligne], CNRS, [consulté le 07/06/2018], disponible sur : http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosevol/decouv/articles/chap2/dubuisson.html
- GOBAT J.M., ARAGNO M., MATTHEY W., Le sol vivant : bases de pédologie – biologie des sols, 3ème édition, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2010, 819 p.
- JEFFERY S., GARDI C., JONES A. [et al.], Atlas européen de la biodiversité du sol [en ligne], Bureau des publications de l’Union européenne, 2013, [consulté le 24/05/2018], disponible sur : https://agriculture-de-conservation.com/sites/agriculture-de-conservation.com/IMG/pdf/atlas-diversite-sol.pdf
- PELOSI C., Les enchytréides, des bioindicateurs mal connus [en ligne], INRA Versaille-Grignon, 03/01/2017, 05/01/2017, [consulté le 07/06/2018], disponible sur : http://www.versailles-grignon.inra.fr/Toutes-les-actualites/2017-Enchytreides
- PETER F., Slow worms react quickly to climate change [en ligne], Aarhus University, 26/04/2016 [consulté le 07/06/2018], disponible sur : http://scitech.au.dk/en/about-science-and-technology/current-affairs/news/show/artikel/langsomme-orme-reagerer-hurtigt-paa-klimaaendring/
Vous pouvez librement faire référence à ce contenu dans vos articles, nous vous demandons simplement de citer l’article et son auteur de la façon qui suit :
PRUVOST G., Les Dossiers de Micro & Macro – Les enchytréides [en ligne], Chez le Père Magraine, 16/06/2018 [consulté le XX/XX/XXXX], disponible sur : https://chezleperemagraine.com/blog/micro-macro-enchytreides/
Il vous suffit de remplacer « XX/XX/XXXX » par la date à laquelle vous avez consulté cet article 🙂
Toute reproduction du contenu de cet article, même partielle, est strictement interdite sans l’accord de l’auteur.